Le 6 mai 2012, le soir de sa victoire, Hollande annonçait que son élection représentait pour l’Europe l’espoir « qu’enfin l’austérité pouvait ne plus être une fatalité  ». Il appelait à la renégociation du Pacte budgétaire.
A peine deux mois plus tard, à l’issue du Sommet européen des 28 et 29 juin, il annonce la ratification expresse du Pacte budgétaire négocié par Nicolas Sarkozy en contrepartie d’un Pacte pour la croissance et pour l’emploi qu’il aurait obtenu de haute lutte – jugeant ainsi que l’Europe avait été réorientée.
Qu’en est-il vraiment ? Pour en savoir plus, nous avons parcouru le document préparatoire du prochain Sommet européen des 18 et 19 octobre (disponible ici). Celui-ci détaille les mesures qui constituent le fameux Pacte pour la croissance. Alors, quelles recettes pour réorienter l’Europe ? Jugeons sur pièce…
Recette n°1 : libéraliser l’économie
Les premières mesures visent l’approfondissement du marché unique et la libéralisation de nouveaux marchés. Des mesures tout particulièrement appelées des vÅ“ux des gouvernements italiens et britanniques, qui insistent depuis depuis décembre 2011 pour qu’elles soient mises sur la table au même titre que les mesures de rigueur budgétaire. Le candidat Hollande n’avait alors pas manqué de l’interpréter comme un soutien à ses velléités de « réorientation  » de l’Europe…
Voici le détail de ces mesures :
- L’approfondissement du marché unique, avec entre autres la mise en œuvre des directives sur la passation de marchés publics, sur les services, sur les normes comptables (dans le cadre de l’acte unique) ;
- La libéralisation du marché du transport ferroviaire et de la fourniture d’énergie (dans le cadre du second acte unique) ;
- La mise en place du marché unique des services et contenus en ligne. (en France, la mission Olivennes, qui a débouché sur la loi Hadopi, s’inscrit notamment dans ce contexte) ;
- La finalisation du marché unique du savoir, de la recherche et de l’innovation. (en France, la loi LRU, qui prévoit d’aligner le fonctionnement des universités sur le modèle entrepreneurial, s’inscrit notamment dans ce contexte).
Le principe ? L’extension du domaine du marché devrait ouvrir de nouvelles opportunités d’investissement et de business, créer de l’activité et de la croissance. Cela vaut bien de rogner un peu sur les services publics, la neutralité du net ou encore remettre en cause les missions spécifiques de l’université et de la recherche, non ?
Recette n°2 : une « régulation intelligente  » contre le « fardeau réglementaire  »
Le pacte prévoit l’approfondissement de la dérégulation, pardon, la mise en place d’une « régulation intelligente  » pour mieux réduire le « fardeau réglementaire  ». Fardeau qui, comme chacun sait, pèse de tout son poids bureaucratique sur les entreprises exsangues.
Dans cette perspective, la commission a déjà fait cette année une proposition (controversée) qui consiste à exempter les petites et moyennes entreprises d’un certain nombre d’obligations, concernant notamment la sécurité au travail, la consultation des employés, les congés parentaux ou l’efficacité énergétique.
Pour la table ronde des industriels européens, lobby influent rassemblant les dirigeants des plus grandes entreprises européennes, la commission doit aller plus loin : disqualifier toute législation actuelle pesant sur la compétitivité des entreprises européennes et introduire un moratoire sur toute nouvelle législation qui irait dans ce sens [1] .
Recette n°3 : le bon vieux libre-échange
Que serait un Pacte pour la croissance sans son volet de libre-échange ? Le document de la présidence du Conseil européen en appelle à finaliser au plus vite les accords de libre-échange en cours de négociation avec le Japon, le Canada, Singapour et l’Inde, et à donner suite à la stratégie libre-échangiste de l’Union européenne.
Peu importe si chacun de ces accords fait l’objet d’une critique acerbe de la société civile, en Europe comme dans les pays concernés… En Inde notamment, la mobilisation est forte contre un accord qui pourrait menacer la production de médicaments génériques [2] ainsi que les droits à l’alimentation [3].
En Canada comme en France, les syndicats et associations se mobilisent contre un accord qui menace les services publics, sanctuarise les investissements privés, revient sur un certain nombre de réglementations environnementales et introduit des dispositions répressives concernant le droit d’auteur [4].
Dans un autre registre, en France, les critiques (plus ou moins opportunistes) se multiplient contre des accords (Corée du sud, Japon) qui mettent en péril l’industrie, et notamment l’industrie automobile [5].
Recette n°4 : inciter les investissements… privés
Quid des 120 milliards annoncées par le président Hollande pour relancer l’activité en Europe ? Leur emploi ne figure apparemment pas à l’ordre du jour des discussions du prochain sommet. Est-ce à dire leur caractère marginal ?
Rappelons que ce fonds qui repose à plus de 90% sur des fonds européens déjà existants, ainsi que sur d’attendus « effets multiplicateurs  » (60 milliards redéployés à partir de fonds déjà votés et programmés pour 2012-2013, et 60 milliards d’hypothétiques nouveaux prêts au secteur privé par la Banque européenne d’investissement) [6].
Loin de permettre une véritable relance publique de l’économie (alors que les coupes budgétaires dans la zone euro s’élèvent en 2012 à plusieurs centaines de milliards d’euros), ces fonds auront plutôt vocation à stimuler l’investissement privé en finançant des partenariats public-privés.
Leur emploi s’inscrit donc dans la logique générale du Pacte pour la croissance qui pourrait se résumer par cette double égalité : cadeaux pour le privé = compétitivité = croissance.
Recette n°5 : taxer les transactions financières
Dernière recette, de loin la plus sympa : la taxe sur les transactions financières européenne. Celle-ci devrait voir le jour sous la forme d’une coopération renforcée entre 11 États membres de la zone euro. Malgré le caractère positif d’une telle avancée, un certain nombre de questions se posent quant à l’assiette de cette taxe, qui pourrait ne pas inclure les produits dérivés et les transactions de change (qui recouvrent la majorité des transactions financières).
Pour la France, les fonds dégagés devraient abonder le budget européen, et permettre de financer des mesures à l’échelle européenne pour stimuler la croissance. Mais, face à l’opposition notamment de l’Allemagne, certaines sources indiquent qu’ils pourraient financer un fonds de sauvetage pour les banques en difficulté… [7]
Réorienter pour que rien ne change ?
Approfondissement du marché intérieur, libéralisation, dérégulation, libre-échange… même en prenant en compte la mise en place d’une taxe sur les transactions financières (dans des conditions encore incertaines), un constat s’impose : le Pacte pour la croissance ne va pas réorienter l’Europe.
Au contraire, il s’appuie en grande partie sur de bonnes vieilles recettes néolibérales, qui, associées aux politiques de rigueur budgétaire, vont accentuer la pression sur les services publics, les droits sociaux, la protection sociale au prétexte d’une compétitivité qui serait le préalable de la croissance.
Oubliées les velléités de relance publique de l’économie ! Le gouvernement socialiste annonce déjà qu’un « choc de compétitivité  » sera nécessaire pour le « retour de la croissance  »…
Entre l’adoption du traité budgétaire (celui qui « ajoute l’austérité à l’austérité  » dixit le candidat Hollande) et la mise en Å“uvre d’un pacte de croissance d’inspiration clairement néolibérale, les électeurs français qui auront cru aux promesses de « changement  » en auront pour leurs frais. Et ils ne sont peut-être pas au bout de leur déconvenue…
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