Que se passe-t-il en Bolivie ?

L’expérience bolivienne actuelle est passionnante. Observons-la de près.
Publié le dimanche  14 mai 2006

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Le philosophe catalan Francisco Fernández Buey en est convaincu : la Bolivie connaît une révolution inédite, où se conjuguent de manière habile multiculturalisme, fédéralisme et patriotisme économique. Article paru initialement dans El Païs.

Ces prochains mois, la Bolivie d’Evo Morales va devoir s’attaquer à deux grands projets évoqués dans le programme électoral du Mouvement vers le socialisme [MAS] : la nationalisation des principales ressources énergétiques du pays [débutée le 1er mai dernier] et la mise en place d’une Assemblée constituante qui sera chargée de rédiger une nouvelle Constitution. Le vice-président Alvaro García Linera a déjà défini les grands axes de la politique gouvernementale : nationalisations sans expropriation et constitution d’un Etat multinational qui mettra fin à l’exclusion historique des Indiens.

C’est la première fois dans l’histoire de l’Amérique latine que sont abordés conjointement, et surtout du point de vue des plus défavorisés, les deux grands problèmes de ce monde : le problème économique et social (marqué par les inégalités et une grande pauvreté) et le problème national, c’est-à-dire, faire cohabiter, selon des critères égalitaires et solidaires, les différences linguistiques, culturelles et ethniques. Le fait qu’Evo Morales soit en même temps un dirigeant cocalero [cultivateur de la feuille de coca] avec une expérience syndicale et un [Indien] Aymara appartenant à une culture aujourd’hui majoritaire dans le pays, mais traditionnellement considérée comme une minorité et exclue de la sphère publique, a rendu possible cette innovation historique.

Ce qu’il faut retenir du processus bolivien, c’est la grande mobilisation sociopolitique et socioculturelle qui a agité le pays ces derniers temps. La conjonction des revendications de secteurs sociaux et ethniques très hétérogènes a réussi à se fondre dans un programme alternatif et raisonnable dont Evo Morales est devenu le principal porte-parole. C’est la mobilisation de ces secteurs, au sein d’une société aussi multicolore que corrompue, qui a mis fin à l’hégémonie des partis politiques traditionnels et a donné au MAS et à Evo Morales l’opportunité de changer du tout au tout les relations socioculturelles et la manière de faire de la politique. C’est ce que l’on commence à appeler evismo [evisme].

L’un des aspects les plus frappants de la nouvelle donne bolivienne est la très forte participation des citoyens au processus sociopolitique. Plus fascinante encore est la qualité de cette participation, la clarté et la précision avec laquelle un bon nombre d’acteurs de cet élan national expriment leurs demandes, leurs questions et leurs propositions sur des sujets aussi variés que : les nationalisations, le multiculturalisme, les différentes versions du nationalisme et du fédéralisme dans le monde actuel, la relation entre les revendications socio-économiques et la question nationale…

Une constitution unique au monde

La Constitution qui devrait voir le jour en Bolivie, si le gouvernement d’Evo Morales et les mouvements indiens et sociopolitiques qui le soutiennent réussissent à repousser les ingérences de la “World Company” [les Etats-Unis et les multinationales étrangères] et les tentatives de déstabilisation des forces sociopolitiques traditionnelles et corporatistes, sera une première historique. Les mouvements qui soutiennent le projet d’Evo Morales souhaitent une république sociale et démocratique de droit, plurielle, participative et représentative, comme il n’en a jamais existé jusqu’à présent. Aucune autre magna carta n’a jamais articulé ni pris en compte autant de thèmes dans une constitution : la fraternité républicaine dans le traitement des différences linguistiques, culturelles et ethniques ; les préoccupations écologiques pour aborder les contradictions et les ambiguïtés de ce que l’on appelle le développement économique ; le respect réciproque, sur le plan juridico-politique, des us et coutumes des différents peuples indiens et de la société civile en général.

Ce projet d’Etat multiculturel se veut un et multiple, et se fonde sur la reconnaissance de la valeur de la diversité pour la vie publique. Les descendants des colonisateurs européens [qui ont toujours monopolisé le pouvoir] vont pouvoir contempler quelque chose d’inimaginable pour des élites : comment la souveraineté de l’Etat sur les ressources naturelles est compatible avec la reconnaissance des souverainetés multiples [des différents peuples indiens] et du pluralisme politique. Comment le développement des langues aymara et quechua est compatible avec un usage non hégémonique de l’espagnol ; comment la reconnaissance des ayllus [communautés indiennes] et la montée en puissance de l’économie communautaire et d’autres formes d’économies familiales sont compatibles, dans un système d’économie sociale mixte, avec ce que nous appelons le développement durable et la redistribution équitable des richesses.
Pour que le plus grand nombre d’entre nous puisse assister à cette révolution, il est important que l’Espagne et l’Union européenne y mettent du leur. Au début, on n’exigera pas beaucoup des Européens. Il suffira qu’ils ne mettent pas de bâtons dans les roues à ce processus juridico-politique.

Francisco Fernández Buey


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