Électricité verte, un créneau bien exploité

de Christiane Marty, membre du Conseil scientifique d’Attac
Publié le samedi  12 mai 2007
Mis à jour le jeudi  10 mai 2007
par  Christiane Marty
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Le thème du développement durable était déjà largement utilisé dans les campagnes publicitaires (EDF, GDF, Vivendi, Veolia). Quelques mois avant l’ouverture du marché aux particuliers au 1er juillet 2007, les stratégies commerciales de certains marchands d’électricité se font offensives… et mensongères, et transforment ce thème en argument de vente : on voit fleurir les offres d’« électricité verte » (c’est-à-dire produite à partir de sources renouvelables : éolien, solaire, hydraulique, etc.).

Le fait d’acheter de l’électricité verte, vendue plus cher, est présenté comme une action pour « préserver l’environnement » (cf. Direct Énergie ou Électrabel Suez), « contribuer concrètement et simplement à l’essor des énergies renouvelables et faire le choix d’un véritable développement durable » (cf. Énercoop), et même « participer au commerce équitable de l’électricité et à la lutte contre le changement climatique ». Un certain nombre de particuliers sont susceptibles de se laisser séduire par ces offres, qui sont pourtant illusoires, la seule conséquence pour eux serait d’augmenter – inutilement – leur facture d’électricité. La sortie du tarif réglementé de l’électricité étant irréversible, le risque pour les personnes est ensuite de subir l’envolée des prix du marché, comme l’ont vécu de nombreux clients professionnels ou industriels depuis 2000 (augmentation de 76% en moyenne en 5 ans). Il est significatif que beaucoup de ces industriels se regroupent aujourd’hui pour demander à pouvoir revenir à la protection du tarif réglementé.

L’argument commercial de vente d’électricité verte relève de la manipulation

La demande d’une personne prête à payer plus cher pour consommer de l’électricité verte, qui pour cela se tourne vers un fournisseur la proposant dans son offre de service, ne contribue en rien au développement de la production de cette électricité. Il s’agit d’une présentation idéologique et tendancieuse qui ne tient pas compte de la manière dont fonctionne concrètement le développement des renouvelables, en Europe et particulièrement en France ! Beaucoup d’acteurs de ce secteur ayant des intérêts convergents, il y a, semble-t-il, un accord tacite pour taire cette tromperie. Elle est pourtant réelle. Il est donc utile de rectifier les idées fausses qui circulent là-dessus et de préciser les mécanismes concrets qui conduisent à la production d’électricité verte.

1. Acheter de l’électricité verte ne la fait pas pousser

Tout d’abord, il faut voir que concrètement, le développement de la production d’électricité à base de renouvelable découle des politiques adoptées par les États de l’Union européenne, qui soit en subventionnent la production, soit ont instauré un « tarif de rachat » obligatoire : les opérateurs des systèmes électriques (EDF en France) sont obligés de racheter toute la production d’électricité verte. Tout producteur d’électricité verte se voit donc assuré d’écouler sa production à un tarif de rachat qui dépend du mode de production (éolien, solaire, géothermie, etc.). Ce tarif de rachat lui est garanti pour 15 ans au minimum et il est très attractif : il suffit à lui seul à justifier l’investissement. Par exemple pour l’éolien, il assure au producteur un taux de rentabilité qui tourne autour de 20 % [1] ! La décision d’un producteur d’investir dans un moyen de production d’électricité verte est donc indépendante de l’existence ou non d’une demande en provenance des usagers.
Le surcoût pour EDF qui est lié à l’obligation de rachat du kWh vert à un tarif élevé, est répercuté in fine sur la facture d’électricité des usagers, à travers une Contribution au Service Public de l’Énergie (CSPE). D’ores et déjà, les particuliers financent donc le kilowattheure vert [2]. On peut signaler en passant que ce n’est pas très égalitaire, puisque les industriels gros-consommateurs d’électricité voient, eux, leur contribution à la CSPE plafonnée.

Le développement de la production à base d’énergie renouvelable, si insuffisant soit-il pour l’instant, n’a donc rien à voir avec le fonctionnement du marché où c’est la demande qui oriente l’offre. Sans l’existence du tarif de rachat, qui est une décision politique, aucun investisseur ne s’y lancerait, compte tenu des coûts de revient actuels du kWh éolien ou solaire : il n’aurait que peu de chances d’écouler sa production dans un univers régi par la loi du marché.

L’instauration des tarifs de rachat obligatoire illustre ce que peuvent faire des politiques publiques pour promouvoir l’énergie renouvelable. Peser pour influencer la politique énergétique au niveau d’un gouvernement est, à coup sûr, dans une démocratie le meilleur moyen pour des citoyen-nes de faire entendre leur voix et leur choix. C’est beaucoup plus démocratique – et efficace – qu’un engagement individuel à acheter du kilowattheure vert qui n’est réservé qu’à des citoyens suffisamment aisés et motivés.

Par ailleurs, on entend parfois dire que c’est la libéralisation du secteur électrique qui a permis l’engagement en faveur des renouvelables. C’est faux. Les deux évolutions ont simplement été simultanées dans le temps. La prise de conscience de la raréfaction des ressources énergétiques s’est faite de plus en plus aiguë au cours des dernières décennies, entraînant un consensus assez large sur la nécessité de s’engager vers les énergies renouvelables et/ou moins polluantes : ce qui s’est traduit par des politiques d’incitation de la part des pouvoirs publics (fiscales, administratives, tarifs de rachat obligatoire) en faveur des renouvelables. En parallèle, l’offensive de libéralisation a progressivement touché tous les secteurs dont celui de l’électricité. De toute façon, rien n’empêchait des producteurs verts de s’installer auparavant, la production d’électricité n’ayant jamais été sous monopole.

2. Que signifie vendre de l’électricité verte ?

Certaines sociétés qui proposent le kilowattheure vert dans leur catalogue n’en sont que des commercialisateurs, dits aussi fournisseurs (comme Énercoop), d’autres possèdent également des moyens de production d’électricité (Direct Énergie, Électrabel Suez). Pour comprendre comment fonctionne globalement le système, il faut distinguer la fonction de production et celle de commercialisation et il est plus pratique de prendre l’exemple d’un fournisseur non producteur.

Le fournisseur achète l’électricité verte à des producteurs adéquats. Ces producteurs qui ont de toute manière la garantie de vendre leur production verte à EDF au tarif de rachat obligatoire n’ont aucune raison de la vendre ailleurs moins cher. Le commercialisateur se voit donc obligé d’acheter le kWh vert en le payant a minima au niveau du tarif de rachat. Ce qui fait qu’il le revend à ses clients en prenant, logiquement, une marge au passage.

On peut relever en passant l’hypocrisie de l’argument de vente de l’électricité verte qui consiste à parler de démarche de commerce équitable : « la fourniture d’électricité 100 % d’origine renouvelable, respectueuse de l’environnement, s’inscrit dans une démarche de commerce équitable. L’électricité est achetée à des petits producteurs locaux à un prix qui assure une juste rémunération » (Énercoop). C’est assez cocasse quand on sait que le prix en question est le tarif de rachat obligatoire imposé par décision politique. Tarif en effet très intéressant qui assure une marge de profit importante pour le producteur, mais sa fixation ne doit rien à une démarche de commerce équitable !

Pour résumer, les producteurs verts qui existent écoulent de toute façon leur production et en tirent des profits confortables. Ce ne sont pas jusqu’ici – à part exception ? – des acteurs motivés par des raisons écologiques et militantes, mais des entreprises qui cherchent à faire des affaires. Pour les futurs producteurs potentiels, l’incitation à investir dans la production à base de renouvelable n’est pas liée à une demande en provenance d’usagers, mais à l’existence du tarif de rachat.

Bilan de cette affaire : un joli coup pour vendre… du vent

  1. Malgré leur bonne volonté, les personnes qui pensent inciter à développer la production verte en acceptant de payer plus cher leur kWh n’ont aucune influence en la matière. Elles ne font que payer les services d’un fournisseur, simple intermédiaire supplémentaire dans le circuit, n’apportant aucune plus-value dans le paysage énergétique.
  2. La commercialisation actuelle de kWh vert organise en réalité une répartition totalement virtuelle : une part de l’électricité verte qui est produite est « attribuée » de manière fictive à des consommateurs qui paient plus cher : ceux-ci achètent donc… le droit de dire qu’ils paient pour une électricité verte. Mais pour être complet et objectif, il faudrait qu’ils reconnaissent que de toute manière cette électricité aurait été produite et consommée, même sans eux. Elle est en effet consommée par les usagers dans l’anonymat, sans revendication particulière, et elle est même financée par ces usagers ordinaires, à travers la Contribution au Service Public de l’Énergie qui est inclue dans les factures d’électricité (elle y figure explicitement).
    En plus de n’avoir aucune influence sur le développement des énergies renouvelables, les consommateurs qui achètent une électricité verte doivent aussi savoir que les électrons qui arriveront chez eux seront les mêmes que ceux qui arrivaient avant qu’ils ne paient plus cher, et les mêmes que ceux qui arrivent chez leur voisin qui, lui, n’aura pas acheté de l’électricité verte ! Les électrons qui circulent dans le réseau centralisé n’ont pas une étiquette sur le dos, un électron vert ne peut être différencié d’un autre (quelle est la pertinence d’un « label vert » pour des électrons ?), et l’électricité qui vient du réseau est toujours le mélange d’électrons provenant du « mix » de production (hydraulique, thermique classique et nucléaire, énergies renouvelables). Ce n’est pas le moindre des paradoxes d’utiliser le réseau centralisé pour fournir de l’électricité réputée verte.

La vraie électricité verte doit transiter le moins possible dans le réseau

Parler de « l’électricité achetée à des petits producteurs locaux » comme le fait Énercoop n’aurait de justification que si une organisation concrète existait pour relier une production la plus décentralisée possible avec une consommation locale. Une production est en général qualifiée de locale lorsqu’on se place du point de vue du consommateur. L’objectif de limiter le plus possible le transport d’électricité sur le réseau, d’éviter les pertes et les investissements dans les lignes de transport est indissociable de la notion d’électricité verte et de l’intérêt d’une production d’électricité par des filières alternatives – l’utilisation du réseau reste toutefois indispensable compte tenu des caractéristiques aléatoires de l’énergie solaire et éolienne –. Les véritables électrons verts seront ceux produits et consommés dans une zone géographique la plus locale possible. Pour atteindre cet objectif, l’organisation pertinente à mettre en place doit réunir les acteurs concernés au niveau d’une région ou zone : producteurs, consommateurs, réseau de distribution locale, communes ou collectivités territoriales. C’est très différent d’une prestation de fournisseur.

Le fait qu’Énercoop soit une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) est intéressant ; elle affiche réinvestir ses bénéfices dans des projets de production d’énergie verte. On ne peut qu’être d’accord avec l’objectif de développer de tels projets en les finançant par des coopératives. Mais le fond du problème est qu’il n’y a aucune nécessité de passer par une prestation (mensongère) de vente d’électricité verte aux particuliers pour mettre en place une telle coopérative. Les personnes motivées pour l’électricité verte peuvent apporter leur soutien financier directement à une coopérative réalisant ces projets de production. Nul besoin pour eux de sortir du tarif réglementé de l’électricité et de se trouver soumis à l’envolée prévisible des prix du marché.
Les choix des citoyens en matière d’énergie doivent se traduire démocratiquement et collectivement, à travers des politiques publiques. Celles-ci ont une palette d’outils à disposition : incitations au développement de tel mode de production grâce aux tarifs de rachat obligatoire (à ajuster si ceux-ci se révèlent trop hauts ou trop bas), tarif réglementé d’EDF – les tarifs doivent être transparents et démocratiquement contrôlés –, taxation des modes de production polluants, partenariats entre l’entreprise publique et des initiatives de coopératives respectant les principes du service public.

Christiane Marty, membre du Conseil scientifique d’Attac

Lire la contribution d’Énercoop (Patrick Behm)

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Campagne contre l’ouverture du marché électrique

[1Le créneau de l’éolien est extrêmement intéressant en soi et n’a rien à voir avec la demande des usagers. Un rapport au Sénat constate que le haut niveau du tarif de rachat encourage la dissémination de l’éolien y compris sur des territoires non adaptés, moins exposés au vent et peu rentables. La fiscalité locale, à travers la taxe professionnelle accordée aux communes, est également très incitative.
Il est vrai que l’installation de parcs éoliens se heurte parfois à des obstacles qui peuvent être le fait des pouvoirs publics, locaux, préfectoraux, mais aussi des populations qui n’en veulent pas. Certains attirent aujourd’hui l’attention sur le risque de phénomènes de saturation et de rejet, liés à un développement de l’éolien qui va être beaucoup plus présent et visible dans le paysage français.

[2Il faut noter que dans l’électricité verte couverte par la CSPE, est aussi inclue la co-génération (production couplée d’électricité et de chaleur). De fait, la plus grosse part de la CSPE sert actuellement à couvrir le tarif de rachat d’électricité aux gros producteurs de co-génération. Or la légitimité d’inclure la co-génération, telle qu’elle est pratiquée, dans l’électricité verte est largement questionnée aujourd’hui, notamment par rapport à des questions de bilan énergétique.


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