Y aura-t-il un moratoire ?

Publié le vendredi  8 juin 2007
Mis à jour le mercredi  4 juillet 2007
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L’annonce d’un "moratoire" allemand sur le maïs MON 810 est-elle une duperie ? Et aura-t-elle le moindre effet sur la politique du gouvernement français ?

3 juin 2007,
Par Christian Berdot

L’Allemagne aurait donc décrété un moratoire sur le MON 810 et la France suivrait bientôt… Derrière l’agitation médiatique, il est important de faire la part des choses.

Allemagne : un OGM (suspendu) peut en cacher d’autres !
Si l’on prend la peine de lire le décret allemand – ce que les Amis de la Terre ont fait pour le traduire [1] - on découvre que l’Office Fédéral justifie la suspension du MON 810 en citant une quinzaine d’études dont la plupart datent d’avant 2003 et les dernières de 2006 ! Il ne s’agit donc pas vraiment de découvertes de dernière minute, loin s’en faut… Reconnaissons cependant que la situation allemande n’est pas banale : des agriculteurs cultivent actuellement une plante dont la culture est officiellement suspendue car elle pourrait poser des problèmes à l’environnement…

Les études mentionnées dans le décret sont pourtant connues de tout le monde depuis des années, alors pourquoi M Seehofer, Ministre allemand de l’Agriculture, a-t-il attendu jusqu’à fin avril 2007, pour sortir ce décret « suspendant » le maïs MON 810 ?

Il y a fort à parier que les trois raisons principales sont les suivantes :

M Seehofer n’a jamais eu l’intention d’empêcher les agriculteurs de planter ce maïs cette année et il leur a laissé le temps de le semer en toute tranquillité.

M Seehofer n’a jamais eu l’intention de gêner Monsanto. En début d’année, Monsanto a déposé à Bruxelles son dossier de demande de prolongement de l’autorisation. En effet, le maïs MON 810 a été autorisé, il y a 10 ans, dans le cadre de l’ancienne directive, et cette autorisation doit être révisée, l’an prochain. Les demandes faites à Monsanto par l’Allemagne correspondent de toute façon aux exigences de la nouvelle directive et Monsanto a sûrement déjà bien préparé son plan de surveillance (monitoring).

Par cette décision sans portée réelle, Mr Seehofer essaye de soigner son image. En effet, le ministre de l’Agriculture allemand, comme les conservateurs du gouvernement de Mme Merkel, n’ont jamais caché leur intention de « réformer » la Loi sur les biotechnologies qui est la transcription en droit allemand de la directive 2001/18. Cette loi – même si elle laisse encore trop de marge de manœuvre aux grands propriétaires terriens de l’ancienne Allemagne de l’Est - n’en est pas moins, aujourd’hui, la plus protectrice en Europe. M Seehofer a donc comme objectif de revoir à la baisse les dispositifs clés de cette loi [2]. N’oublions pas que deux des principales firmes de biotechnologies, Bayer et BASF, sont allemandes et qu’outre Rhin, on ne peut rien leur refuser…En prévision d’une forte opposition des citoyens allemands au démontage de la Loi sur les biotechnologies, M Seehofer essaye donc d’endormir l’opinion publique avec un « moratoire ».

Alors même que cette mesure ne devrait pas avoir de conséquences réelles sur la commercialisation du MON 810, le gouvernement allemand a reconnu être assiégé par les représentants de Monsanto et l’ambassade des Etats-Unis !

En France, M Juppé aurait prononcé le mot M…
Nous serions prêts à saluer un tel revirement et le fait que la France décrète enfin l’arrêt de la culture du Mon 810 - quitte à se mettre à dos ses bons amis états-uniens.

Mais reconnaissons que cela serait une réelle rupture avec les politiques précédentes alors :

  • que le gouvernement Chirac / Sarkozy n’a pas eu le courage politique en 5 ans de transposer en droit français la directive européenne 2001/18 ;
  • que le début de transcription adopté par la majorité UMP du Sénat équivaut, dans la pratique, à légaliser la contamination généralisée de l’environnement et de l’agriculture ;
  • que le décret passé à la sauvette dans le dernier mois du quinquenat, ne garantit aucune protection pour les filières non-OGM ;
  • que la politique d’information du public est indigne d’une démocratie [3], et que des peines lourdes sont prononcées régulièrement contre les Faucheurs.

(D’ailleurs M Juppé semble être revenu sur ses propos : "Je n’ai jamais prononcé le mot M…" [4].)

Car face aux risques cités par le gouvernement allemand dans son décret - ou par la Commission européenne dans le secret de la procédure contentieuse à l’OMC sur les OGM [5] - la seule solution est bien de stopper la culture de cet OGM, c’est-à-dire d’ordonner l’arrachage des plants déjà semés et d’arrêter toute autre autorisation d’OGM Bt.

Depuis des années, de nombreuses organisations écologistes ou syndicales demandent cette interdiction. Pourtant, les pouvoirs publics français, en toute connaissance des risques soulignés par les études scientifiques citées plus haut, refusent de prendre les mesures nécessaires. Au contraire, quelques agriculteurs extrémistes, protégés par les services de l’Etat et soutenus par les lobbies des semences et des OGM, peuvent planter, chaque année un peu plus d’hectares de ce maïs controversé [6]. L’Etat laisse délibérément pourrir la situation et la contamination génétique peut s’étendre irréversiblement…

Même l’évocation d’un « moratoire » light, à l’Allemande, fait réagir la nouvelle ministre de l’Agriculture, Mme Lagarde - anciennement ministre du Commerce extérieur qui suivait les négociations de l’OMC, notamment à Hong Kong [7] - pour qui une telle décicion n’est pas envisageable et certainement politiquement incorrecte vis à vis de l’OMC.

D’ailleurs, lorsqu’on évoque l’OMC, il faut savoir que les Etats-Unis rebrandissent à mots couverts cette "menace [8]. Leurs pressions sont aujourd’hui plus fortes que jamais pour que l’Union européenne abandonne une bonne partie de son dispositif réglementaire, qu’ils jugent trop restrictif. Dans une série de mails obtenus par les Amis de la Terre-Europe [9], on peut lire que les Etats-Unis veulent forcer la Commission à :

  • ignorer les inquiétudes exprimées dans les évaluations des risques et pousser les OGM rapidement sur le marché ;
  • accepter une procédure rapide pour les OGM que les Etats-Unis veulent vendre sur le marché européen ;
  • autoriser un colza GM controversé comme preuve que la Commission est prête à accepter les exigences des Etats-Unis ;
  • supprimer les interdictions nationales mises en place par les Etats-membres
  • affaiblir les normes concernant la contamination génétique de l’alimentation par des OGM non autorisés dans l’Union européenne.

Malheureusement, lorsque le président de la République menace d’utiliser son veto à l’OMC, ce n’est pas pour résister aux pressions inadmissibles des Etats-Unis sur les OGM, mais pour « défendre avec détermination l’agriculture comme un élément de la puissance économique de notre pays ». Très probablement donc cette agriculture ultra-productiviste qui détruit ici l’environnement et déstabilise, par ses exportations subventionnées, les marchés agricoles de nombreux pays du Sud, poussant ainsi des millions de paysans à la ruine [10]….

Il est à craindre que les OGM ne soient considérés comme un élément de développement de cette puissance agricole. Comme disait Mr Juppé « On ne peut pas se mettre à l’écart de la recherche et du progrès » . Le risque est grand de voir nos gouvernants céder - plus que volontiers - aux pressions des Etats-Unis et ouvrir en grand notre pays aux OGM, pour mieux gagner sur d’autres secteurs agricoles…

Grenelle : les OGM sont un test

Les citoyens en Europe et en France savent que tout ce qu’ils ont obtenu après des années de luttes et de pressions - moratoire de fait, législation moins laxiste, début d’étiquetage, … - n’a été concédé qu’à contre coeur par des élites politiques et industrielles toutes acquises aux OGM. Alors, ce n’est pas le fait de nous faire miroiter un moratoire qui nous fera baisser la garde.

Avec les 10 années de recul sur les cultures commerciales d’OGM dans le monde, les faits s’accumulent :

  • L’an dernier déjà, la Commission européenne reprenait à son compte les doutes émis par les opposants aux OGM agricoles.
  • Cette année, l’Allemagne justifie la suspension du maïs MON 810 en s’appuyant sur des études scientifiques.
  • L’Autriche, la Hongrie, la Pologne, la Grèce et de fait l’Italie ont un moratoire bloquant - au moins - cet OGM. 
  • Le rapport des Amis de la Terre-International publié en début d’année démontre sur la base d’études indépendantes que les OGM n’apportent que des problèmes mais pas de solution à la faim dans le monde, à la réduction de l’usage des pesticides ou à l’augmentation des rendements [11].
  • Le dernier rapport des Amis de la Terre Europe démontre que les biotechnologies agricoles ont échoué et que des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement créent plus d’emplois [12].

Tous ces faits justifient largement un moratoire général sur les OGM agricoles en France et dans l’Union européenne. Si le gouvernement veut démontrer le sérieux de ses intentions dans le domaine de la protection de l’environnement, en matière agricole, le premier pas est d’ordonner l’arrachage du maïs MON 810 en France. Pas besoin d’ attendre "Grenelle".


Source Les Amis de la Terre

[1Arrêté de l’Office Fédéral allemand pour la Protection des Consommateurs et la Sécurité Alimentaire

[2Parmi les points les plus importants : revenir sur la responsabilité collective lorsqu’on ne peut déterminer d’où vient la source de la pollution génétique, limiter l’accès du public aux informations, etc…

[3Voici ce qu’écrit notre collègue de BUND/Amis de la Terre Allemagne à propos de la tentative de M Seehofer de limiter l’accès à l’information sur les OGM, des citoyens « La tentative de Seehofer de maintenir secrète la localisation des champs d’OGM rappelle fatalement la « Loi sur la protection des données environnementales » de la RDA. A cette époque les citoyens et les media n’avaient pas accès aux données concernant l’environnement et leur publication était punie. Un retour à ces pratiques datant d’une époque pré-démocratique devrait quand même rappeler de triste souvenir à la chancelière Mme Merkel, elle même originaire d’Allemagne del’Est. » Toute ressemblance entre la politique d’information des citoyens en France et celle d’une ex-dictature communiste est-elle fortuite ?

[4Voici des extraits de l’interview accordé par M Juppé au journal Sud-Ouest le 1er juin et intitulé « Je n’ai jamais dit "moratoire" » :

Vos déclarations récentes sur les OGM ont suscité des interprétations diverses. Etes-vous vraiment disposé à suivre l’exemple allemand ? Alain Juppé. Je n’ai jamais prononcé le mot de « moratoire ». J’ai simplement dit que, sur le Monsanto 810, il y a un problème de production de la toxine qui ne se déroule pas comme prévu. Avec Christine Lagarde, la ministre de l’Agriculture, nous avons saisi le Comité du génie biomoléculaire (1), qui rendra son avis le 12 juin. Concernant l’Allemagne, elle a pris une clause de sauvegarde, mais il lui reste à la faire valider au niveau européen.

Comment ce dossier peut-il évoluer ? Il y a un cadre juridique. La France a commencé à transposer la directive européenne sur les OGM. Par ailleurs, la discussion d’un projet de loi a débuté au Sénat mais n’a pu aller à son terme jusqu’à présent. A l’issue du Grenelle sur l’environnement, on verra si l’on poursuit le dispositif législatif.

Il pourrait donc être remis en cause ? On verra si l’on apporte des modifications. On peut toujours discuter des modalités. Sur le fond, je dis qu’on ne peut pas se mettre à l’écart du progrès et de la recherche, mais qu’il faut s’entourer de toutes les garanties.

[5"Commission européenne et OGM : les doutes qu’on nous cache"

[6"Les Amis de la Terre condamnent fermement l’incivisme d’une poignée d’agriculteurs extrémistes"

[7Sur Mme Lagarde, voir la note (1) de notre article "OGM : OMC juge et partie !"

[8"Ces gesticulations ne devraient pas impressionner nos gouvernants puisque l’Union européenne n’a pas été condamnée par l’OMC ; voir notre article "Conflit OGM à l’OMC : confirmation que les Etats-Unis n’ont pas gagné"

[9Voir l’article intitulé "OGM : rambo fait pression sur l’Union européenne" et le mémo en anglais, qui dévoile quelques extraits de mails édifiants !

[10"OMC et agriculture : ruine et exode rural pour des millions de paysans du Sud"

[11Résumé en français du rapport intitulé "Agriculture et Alimentation"

[12"The EU’s Biotechnology Strategy : mid-term review or mid-life crisis ?"


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