« La concertation appelle l’ensemble des acteurs à une réflexion profonde pour mettre l’École en accord, en harmonie avec les mutations de fond qui touchent notre société.  »
Rapport de la concertation
Tous semblait commencer pour le mieux. Après des années de politiques néolibérales débridées appliquées au management de l’école et encensées par une droite décomplexée, l’heure était à la refondation ou plus précisément selon les mots ministre à « refonder l’École de la République autour de principes susceptibles d’inspirer désormais l’action publique en matière éducative…. d’éclairer les choix du gouvernement sur les lignes d’évolution souhaitables que fixera la prochaine loi d’orientation et de programmation  »
La chute n’en est que plus brutale à la lecture d’un « rapport de la concertation  », qui certes contient tout et son contraire [1], mais qui par quelque bout qu’on le prenne, du point de vue de sa méthode d’élaboration, de son contenu et de ses préconisations apparaît avant tout comme une construction en trompe-l’Å“il. Celle-ci esquive en effet les enjeux véritables et pérennise, au nom de la « modernité  » et de l’adaptation à une société qui change (stupéfiante découverte !) les choix de fond en faveur d’une école plus que jamais ordonnée aux mutations du capitalisme néolibéral. Si changement il y a, outre des habillages plus vraiment très neufs, il est dans la sollicitation plus insistante faite aux échelons locaux et régionaux de relayer une nouvelle étape et dans une certaine mesure une nouvelle « pédagogie  » des réformes.
Une dépolitisation de la question scolaire
Il semblait logique de commencer par quelques questions de bon sens : si l’école doit être refondée, ne faut-il pas il faut commencer par analyser par quoi et comment ses fondations antérieures ont été abimées et mises à mal au point de devoir être… refondées [2]. Telle n’est pas la voie suivie par un rapport qui ne propose à aucun moment de mettre en relation l’État de l’école et l’ampleur des dégâts opérés par plusieurs décennies de politiques néolibérales. Curieusement la frénésie évaluatrice qui enjoint de mesurer (à l’euro prés…) l’efficacité des politiques publiques recule devant cette évaluation de leurs effets dévastateurs en termes d’accroissement des inégalités, de marchandisation, de segmentation croissante des espaces éducatifs et de subordination des objectifs et du fonctionnement de l’école à l’économie de la connaissance.
De tout cela le rapport, censé faire la synthèse de plusieurs centaines de réunions avec plusieurs milliers de partenaires, ne parle guère même s’il admet du bout des lèvres que parfois des dérives coupables ont pu être observées.. chez les autres. Il ne sera donc jamais question de rupture mais, en phase avec la novlangue réformatrice, de recherche d’un « diagnostic partagé  ». Sans surprise la concertation menée tambour battant accouche d’un « riche dialogue  » qui n’a « pas fait apparaître de clivages insurmontables mais, au contraire, a permis de dégager, sous l’inévitable et féconde diversité des opinions, un diagnostic partagé et des perspectives communes  ». Ouf…
Il est vrai qu’à lui seul le choix de l’insubmersible recteur Forestier pour piloter ce chantier aurait pu nous alerter [3]. Mission accomplie : en moins de trois mois, la démocratie participative déclinée d’en haut a parlé. On cherchera en vain une perspective assumée de démocratisation scolaire globale pensée dans une perspective de transformation sociale. Tout se passe comme si la feuille de route néolibérale et européenne que brandissait hier le « président des riches  » s’imposait au « président normal  » quitte à procéder à un nouvel habillage. Le sens du rapport est là tout entier : il ne faut rien changer ou si peu aux directives expertocratiques qui déclinent avec force l’abécédaire de la stratégie de Lisbonne destinée à rendre, grâce à une école transformée dans ses objectifs et son management, l’économie de la connaissance en Europe plus compétitive. L’ambition éducative et sociale se fixera cet horizon indépassable : doter tout un chacun du « socle commun de connaissances et de compétences  » jugé nécessaire pour être à l’unisson des « tendances sociétales lourdes  », traduisez : devenir et rester employable. Rien de nouveau depuis 20 ans sinon la répétition, parfois au mot prés, des formules rituelles des cercles d’experts de l’OCDE, les yeux et les oreilles rivés sur leur Bible et leur Pythie : Pisa. Le copié-collé est éloquent : « L’ambition première des prochaines années doit être d’inverser une évolution des performances dont les indicateurs nationaux comme internationaux montrent qu’elle se dégrade… L’école doit entrer résolument dans le futur, se mettre en adéquation avec des tendances sociétales lourdes qui ont modifié notre environnement tandis que la forme scolaire demeurait figée, et mieux remplir la mission qui lui revient d’être le creuset de la cohésion sociale et civique, comme de l’intégration de tous.  »
Tout autre débat sera donc escamoté. Assaisonnées aux forts épices des institutions européennes et recuites, les références à la République sont devenues solubles dans la gouvernance du nouvel ordre éducatif. Fort peu explicitées par ailleurs, elles sonnent alors singulièrement creux. Voudrait-on noyer dans l’eau tiède du consensus moderniste et clore plus d’un siècle de débats et de controverses passionnés et souvent passionnants (et heureusement nullement apaisés..) qui attestent du caractère pourtant profondément politique de la question scolaire, que l’on ne s’y prendrait pas autrement.
« L’école doit rentrer dans la modernité  »
Banalité digne d’un Michel Rocard au mieux de sa forme, la formule s’accorde avec une somme de platitudes et d’aveuglements (volontaires ?). Pourtant le diagnostic qui ressort des première et deuxième parties du rapport n’est pas exempt de remarques parfois assez justes sur l’état du système éducatif et son évolution historique dont une massification et une démocratisation ségrégatives qui marque le pas aujourd’hui sur fond d’inégalités croissantes. « Par rapports à l’objectif de « 85% d’une génération au bac  » lancé en 1985, est-il rappelé, si des progrès ont été réalisés, notre École s’essouffle et peine à atteindre ces objectifs. Au cours de la décennie 1980, le taux d’accès aux voies générales et technologiques a fortement progressé. Depuis, cette tendance a cessé et la voie générale a même connu une évolution négative  ».
Il est encore reconnu qu’en dix ans l’école est devenue plus injuste socialement , que « les disparités dans les trajectoires et les acquis scolaires se creusent…  » et que la concurrence scolaire s’est exacerbée en lien avec des formes de marchandisation du savoir. « De plus en plus aujourd’hui, l’éducation s’achète. Un indicateur de cette situation réside dans la part croissante du secteur marchand : développement exponentiel du marché des cours de soutien (estimé par certains à 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel), émergence d’une offre de coaching en orientation, etc.  » En sorte que s’installe « un cercle vicieux de concurrence, d’anxiété et de défiance : moindre confiance entre enseignants et élèves, qui communiquent difficilement autour de savoirs instrumentalisés et d’évaluations vécues comme des sanctions ; défiance et concurrence également entre les établissements, qui se disputent un public que la logique des classements et des palmarès, l’assouplissement de la sectorisation en 2007 et le développement du privé ont rendu plus mobile ; et enfin, plus largement défiance de tous les acteurs vis-à -vis de l’institution scolaire.  »
Mais curieusement cet état de l’école n’est en aucun moment mis en relation avec l’évolution d’une société de « marché  » et des politiques dominées par les impératifs de valorisation d’un capitalisme mondialisé qui ne laisse d’autre choix aux hommes et aux institutions que de se plier aux normes universelles de concurrence et de compétition forcenées. Le problème ne serait donc pas que l’école se plie désormais de l’intérieur à ces normes, mais au contraire qu’elle retarde sur cette évolution. « Malgré les évolutions exposées précédemment, nous assistons à un décrochage croissant entre notre École et une société française en pleine mutation – économique, sociale, technologique… – qui empêche notre institution de rentrer dans l’ère de la modernité  ».
L’usage, somme toute assez banal de l’argument sociétal a ceci de pervers qu’il entérine et « naturalise  » un état global de la société qui n’est jamais questionné et qui juxtapose pèle mêle des considérations dignes au choix d’un inventaire à la Prévert ou plus sà »rement du café du commerce pédagogique [4]. Tout y passe : les familles monoparentales, la fragilité psychologique d’adolescents en manque de repères, les surcharges pondérales, l’usage de drogues, la montée de l’individualisme, la culture juvénile véhiculant des codes de langage inédits, etc. Certes, mais quoi de commun et de pertinent pour comprendre véritablement la situation ? Peu de choses… sinon l’impératif de « relever les défis du 21e siècle  ». Mais ces défis ne seraient-ils pas ceux d’une société plus que jamais injuste, inégalitaire, divisée en classes sociales et fracturée. Les conditions d’études des enfants n’ont-elles que peu à voir avec l’explosion du chômage et de la précarité ? Et pourquoi occulter encore combien ce monde est façonné par l’exploitation et la domination globale des puissants et du capital pour ne retenir que cette conclusion : il faut préparer les jeunes générations… « au risque et à l’incertain  » d’un monde « ouvert et mondialisé  ».
Le problème est-il vraiment que cette école « peine à entrer dans le XXIe siècle  » et doive « se renouveler et se refonder, autour de valeurs qui lui donnent son sens et entrer dans la modernité, en revisitant les missions et les principes qui la gouvernent  » ? La refondation, n’est-ce jamais que… l’adaptation au monde tel qu’il va ?
On conçoit que la critique du « sarkozysme  » et de la droite se réduise à une dénonciation de gestes inutilement provocateurs, au rejet d’une application trop aveugle de la RGPP et de formes délirantes d’évaluation de la rentabilité éducative ou encore à une critique d’une insuffisante pédagogie des réformes. La droite n’aurait pas su conduire le changement. Mais on se gardera de toucher aux plus fondamentales des réformes comme à la loi LRU instituant l’autonomie concurrentielle des universités. Le reproche majeur est en fait de n’avoir pas su dégager l’accessoire de l’essentiel des réformes et de n’avoir pas trouvé les relais locaux voire syndicaux pour les faire pleinement accepter. À quoi la refondation qui vient saurait remédier.
Et c’est bien en fonction de cette logique réformatrice parée des nouveaux vieux habits du néolibéralisme scolaire de gauche que les préconisations doivent être lues et comprises.
Les nouveaux vieux habits du néolibéralisme de gauche
Un fois établi ce que la refondation ne sera pas – une rupture assumée avec les politiques et la société néolibérale - il reste à apprécier la cohérence et les effets les plus probables d’un tel projet.
Il est certes des questions comme celle de la formation des enseignants ou des rythmes scolaires qui sont loin d’être secondaires. Mais coupées de leurs dimensions sociales et politiques, elles risquent de connaître le sort de bien d’autres soucieuses du bien-être de l’enfant et du « vivre ensemble  » dans un espace illusoirement protégé de la guerre sociale et de ses effets destructeurs. Et comme dans le même temps ces lieux continuent d’être exposés aux agressions d’un capitalisme de plus en plus débridé, à sa violence sociale et à la démultiplication mortifère des inégalités, cela ne saurait déboucher sur autre chose que la recherche de pacification ou du moins de réduction des zones de tension maximale. Ce qui ne manque pas d’engendrer alors de nouvelles contradictions et de nouvelles différenciations et cela particulièrement au sein du collège considéré comme un maillon faible particulièrement anxiogène. Aménagé pour le rapprocher de l’enseignement primaire, avec moins d’enseignants délivrant des savoirs disciplinaires et plus d’activités encadrées par des acteurs locaux, il inviterait les organisations périphériques de l’école à s’impliquer dans une forme de co-éducation où l’occupationnel « éducatif  » assouplirait une formation jugée trop élitiste et trop coupée du monde. Soit le socle en acte, toujours lui, mais rendu « politiquement correct  » par la vieille antienne de l’école fondamentale remise au goà »t du jour.
On peut observer, en effet, une fois la pseudo-concertation achevée, combien ce rapport renoue avec de vieux schémas empruntés à la mouvance pédagogique, syndicale et politique des réseaux proches de la Ligue de l’enseignement et de la galaxie aujourd’hui éclatée de l’ex-FEN. Le refondation est bien en ce sens le retour à l’école fondamentale chère à des courants qui au cours de décennies passées ne se sont guère distingués par leur lucidité, tout occupés qu’ils étaient à accompagner les réformes et à pourfendre les archaïsmes et les corporatismes qui s’y opposaient. Il est pour le moins curieux sinon paradoxal de proposer comme « base  » de refondation de l’école, leur retard commun à comprendre le sens général des transformations et à résister aux ravages des contre-réformes néolibérales autrement que par un illusionnisme pédagogique faisant de la promotion ambiguë de l’autonomie, de la mobilisation de soi et de ses ressources et de l’individualisation, la solution psychologisante aux difficultés scolaires.
Cette veine inspire directement aujourd’hui les propositions visant à rapprocher de l’école primaire le collège, ce maillon décisif de la scolarité étant jugé trop élitiste et fortement traumatisant. Que penser de l’affirmation péremptoire selon laquelle « Pour gérer l’hétérogénéité scolaire, le collège unique doit assumer la continuité avec l’école primaire  » et d’une série de mesures qui toucheraient entre autres à la bivalence des enseignants qui les rendrait plus accueillants et plus à l’écoute des besoins des enfants .
Que dire de la limitation du nombre d’heures de cours par jour qui se traduirait par une diminution globale des horaires disciplinaires, couplée à des propositions de parcours culturels, artistiques et sportifs en dehors de ces heures, éventuellement pris en charges par de intervenants extérieurs ? Le seul objectif désormais serait-il de « remplir le socle  » ?
Quant au lycée il ne serait à aucun moment question de revenir sur les réformes de la droite qui, outre qu’elles signent l’arrêt de mort des enseignements artistiques et des séries technologiques, jugés insuffisamment « rentable s », ont contribué à privilégier de manière outrancière une individualisation des parcours qui va de pair avec un éclatement du groupe particulièrement déstabilisant pour les élèves et les enseignants.
Jospin le retour ?
Mais plus encore peut être que les mesures sectorielles c’est bien la philosophie d’ensemble qui est en cause. Lorsque nous évoquons les « nouveaux vieux habits  » du néolibéralisme de gauche comment ne pas faire le rapprochement avec des aspects essentiels de la Loi Jospin de 1989 et de ses suites ? Sur deux points au moins le parallélisme est frappant : accélération et approfondissement de la décentralisation et d’une responsabilisation plus forte du « local  » d’une part, individualisation des conditions et des modalité d’apprentissage [5], d’autre part.
La conjonction des ces deux éléments fut probablement le principe structurant de la construction de la concurrence scolaire et d’une école de marché. C’est ainsi qu’à l’occasion de la décentralisation la « demande  » des familles - censées exprimer ce qui est bon pour l’enfant - a été érigée en principe régulateur du système d’enseignement. Le « libre choix des familles  » entre écoles fut regardé comme une source de transparence, d’émulation et de progrès pour le système scolaire appelé à diversifier « l’offre  » de chaque établissement en fonction des publics (les « projets d’établissement  » de la Loi Jospin en 1989) avec dans la foulée une dépendance accrue aux financements locaux, la création d’indicateurs de productivité (la « valeur ajoutée des établissements  ») largement diffusés par la presse (les « palmarès annuels des collèges et des lycées  ») ainsi qu’une pression sur les équipes pédagogiques et les collectivités locales pour améliorer l’école. La construction du marché scolaire se poursuivra tout au long des années 1990 par l’assouplissement progressif de la carte scolaire voire sa disparition. Au nom de l’implication du local, de « l’effet établissement  » et d’une pédagogie « différenciée  » s’adaptant mieux à chaque individu, les gouvernements successifs ont encouragé les comportements guidés en fait par l’intérêt personnel des familles et de l’individu, ce qui n’a pas été pour rien dans le développement des inégalités sociales et des ségrégations ethniques dans le milieu scolaire.
Quelque trente ans après les promoteurs de la refondation « forestière  » (du nom du recteur pilote qui était déjà là …) semblent vouloir remettre le couvert sans se rendre compte que les mêmes dispositions produiront les mêmes effets. probablement en pire vu la situation dégradée de la société et de l’école.
Vers un local-libéralisme
L’implication des divers échelons du local devrait prendre la forme d’une co-éducation (thème cher à la FCPE, mais rarement défini de façon rigoureuse) associant des « partenaires diversifiés  » mais sans jamais faire appel à une réflexion épistémologique et pédagogique pour articuler de façon cohérente ces différents registres de transmissions d’information ou de connaissance. Du moins parmi ces partenaires, apprenons-nous le privilège accordé aux entreprises dés la 6e selon les vÅ“ux du ministre. Nul doute que nos amis « pigeons  » sauront transmettre avec force, en même temps que leur patrimoine préservé, des messages débordant de civisme et d’éthique ! Est-il permis d’observer que ce modèle de « laïcité ouverte  ».. sur le capital et de « partenariat public-privé  » constitue depuis des années un principe actif qui a perverti et infesté l’école autant que brouillé les repères entre « plan de communication  » et acquisition de connaissances. [6]
Là encore, un bilan lucide du « rapprochement école-entreprise  » ( initié par un certain Laurent Fabius en 1984) et de la promotion d’un modèle éducatif arrimé aux compétences et conçu par et pour l’entreprise aurait permis de prendre quelque distance avec une vision étroitement utilitariste comme avec la subordination de la connaissance à l’économie.
Ces formes de décentralisation ouvertes à tous les vents et à tous les lobbies patronaux et locaux concerneraient au premier chef la formation professionnelle et l’orientation qui n’ont certainement pas besoin de cela, Prolongeant un mouvement constant et déjà encouragé, c’est sans doute la porte ouverte à une dénaturation encore plus complète de l’une (ne serait-ce que par le privilège accordé par toutes les régions sans exception au modèle de l’apprentissage patronal) et de l’autre (déjà moribonde au regard de ses effectifs amputés et de ses structures publiques – CIO – détruites.) et assurément à un accroissement des inégalités territoriales.
La pédagogie des compétences
L’autre grande affaire de la refondation devrait concerner la pédagogie. Mais à y regarder de prés, il s’agit moins de corriger les excès d’une approche confondant pédagogie et mesure d’une pseudo-rentabilité éducative par le benchmarking et l’adoption de « bonnes pratiques  » que d’adosser plus étroitement façon d’apprendre et compétences du socle. La refondation pédagogique évoquée n’a que fort peu à voir avec une pédagogie des apprentissages mobilisant des directions de recherche et des expérimentions qui interrogent, appréhendent et articulent les différentes facettes du rapport au savoir puis qui repèrent et corrigent les malentendus langagiers et culturels dans la transmission.
Par « pédagogie  » le rapport invite plutôt à faire appel à des contenus plus concrets et davantage liés à la vie quotidienne. Sont évoqués en ce sens l’introduction des life skills ou des cours d’« éducation à  » dans de nombreux pays nordiques et anglo-saxons. « C’est tout l’intérêt de l’approche par compétences, qui ne saurait être exclusive ni utilitariste, mais qui donne sens aux apprentissages en liant savoir et action, savoir et résolution de problèmes, que ce soit dans le futur cadre professionnel ou dans la vie quotidienne  » est-il commenté.
Ainsi relativisé le rapport au savoir peut alors s’accommoder des conseils éclairés d’experts en chronobiologie, de pédagogues cognitivistes qui disent comment « apprendre à appendre  », de spécialistes du développement personnel qui savent combien tout cela serait bénéfique à l’épanouissement de l’enfant.
Le seul oubli concernera le traitement de la difficulté scolaire qui requiert probablement le croisement et la collaboration d’approches pédagogiques, didactiques, linguistiques et psycho sociologiques. Ce que l’on pourrait désigner sous le terme de pédagogie de la coopération. Telle n’est pas l’orientation indiquée.
Rompre pour refonder
Disons-le tout net. Il nous semble inconcevable de refonder sans assumer une rupture avec des réformes néolibérales systémiques et sans remettre en cause les convergences organisées au niveau d’institutions européennes qui ont joué un rôle déterminant et ô combien normatif dans un ensemble de domaines qui touchent aussi bien le travail que les services publics, la protection sociale que la formation initiale et « tout au long de la vie  ». À l’heure où l’édifice européen tout entier vacille et où de timides velléités de correction à la marge semblent constituer le seul horizon des gouvernances présentes et à venir, on ne peut éviter de poser la question : le cours néolibéral doit-il, en dépit des catastrophes et des souffrances sociales qu’il engendre, continuer à s’ appliquer ou doit être radicalement remis en cause ? À ne pas connecter cette question à l’avenir de l’école, on limite par avance le champ de réflexion à un « scolarisme  » qui a marqué les trop nombreux débats en trompe-l’Å“il ces dernières années : modernisateurs contre conservateurs, pédagogues contre défenseurs des savoirs, avec comme point commun de considérer que l’école doit vivre avec, s’adapter et voire pour certains se transformer pour mieux préparer les esprits et façonner les subjectivités des enseignants et des élèves à la rationalité néolibérale d’un monde qui serait le seul possible. Là semble résider le point aveugle et l’indépassable tabou de la gauche gestionnaire.
Un tout autre débat doit donc se mener. Au risque de simplifier il pourrait se poser en ces termes : faut-il oui ou non continuer d’appliquer à l’école les politiques néolibérales, faut-il continuer de donner comme objectif premier à l’école de former à l’acquisition d’un « socle commun de compétences et de connaissances  » défini et normalisé par des institutions européennes autant intéressées au formatage de la future main-d’Å“uvre que dénuées de légitimité ? En fonction des réponses la question des voies et des moyens d’une refondation ferait alors probablement émerger des lignes de partage assez éloignées du touchant consensus du rapport et délimiterait au moins deux options à présenter, en toute démocratie aux citoyens de ce pays :
- la poursuite voire l’accélération d’une telle politique pour que l’école s’adapte voire anticipe sur l’évolution du capitalisme néolibéral, de ses « fondamentaux »Â » et de ses dérivés : économie de marché, société de marché, école de marché ;
- une rupture profonde avec l’école et la société de la concurrence et de la compétition comme avec les troïkas qui tentent de les faire passer comme les seules possibles, pour ouvrir la voie à la fondation d ’une école commune, démocratique et émancipatrice.
Francis Vergne. Chercheur associé à l’Institut de recherche de la FSU, auteur de Mots et maux de l’école, petit lexique impertinent et critique, Armand Colin, 2011 et co auteur de la Nouvelle école capitaliste. La découverte, 2011.
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