Le film allemand de Marc Rothemund, « Sophie Scholl, les derniers jours », raconte la confrontation d’une figure de la résistance antinazie allemande et de ses juges. Derrière l’anecdote, une leçon de courage et la démonstration de la puissance de la parole devant l’oppression.
Sophie Scholl, membre du réseau antinazi allemand La Rose blanche, est morte à 21 ans début 1943 pour avoir distribué des tracts hostiles au régime d’Hitler : arrêtée et jugée, elle fut condamnée à mort et exécutée avec six de ses camarades. Très connue en Allemagne, elle l’est beaucoup moins en France où on ignore largement l’existence d’une résistance allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Le film de Marc Rothemund a le mérite de nous la faire découvrir et, s’il ne faisait que cela, ce serait déjà beaucoup. Mais il fait beaucoup plus.
Ce n’est pas un film militant : il ne défend pas une thèse, il ne remplace pas un cours d’histoire. Bien mieux, il confronte une jeune fille aux idées politiques un peu floues mais à la détermination sans faille à ses bourreaux. En montrant ce duel, dans lequel elle n’a pour armes que ses paroles, il montre qu’on peut secouer le plus inégal des rapports de force par la seule force du verbe. Il montre à quel point les puissants peuvent être ébranlés par le seul fait qu’on leur tient tête.
Sophie n’est pas présentée comme une militante au long passé politique : c’est une jeune fille simple et sans histoire, qui croit en Dieu, écoute de la musique américaine en cachette, se prépare à devenir infirmière et aime un fiancé officier fidèle au régime et parti sur le front de l’Est. Mais avec son frère et ses amis de La Rose blanche, elle imprime et diffuse des tracts expliquant que l’Allemagne ne peut plus gagner la guerre. Alors qu’on peut être emprisonné pour la possession d’un seul tract, elle est arrêtée une valise de 1500 à la main. Elle est alors présentée à un officier de police, l’inspecteur Mohr - oeil terne, costume gris, croix gammée au revers - qui l’interroge. C’est ici que le film devient passionnant. Très vite la police découvre l’imprimerie clandestine et des manuscrits compromettants. L’enjeu des interrogatoires cesse alors d’être l’établissement de la vérité pour devenir la confrontation de deux attitudes. Au policier nazi, Sophie oppose quelques vérités simples : liberté de conscience, liberté d’expression, démocratie, paix et liberté pour les Juifs et les peuples d’Europe. Sans rien dire de radical ni de compliqué, elle répète avec courage, avec obstination, ces quelques certitudes à l’inspecteur qui ne les comprend pas ou les refuse. L’homme, qui a au moins le double de son âge, est fasciné par la résistance que la jeune fille lui oppose. A chaque interrogatoire, il admire davantage la conviction de sa prisonnière. A chaque question, il mesure le gouffre qui sépare le courage de Sophie de son propre conformisme. Chacun des mots qu’elle prononce lui vaut la peine de mort et plus elle se voit prise au piège, plus elle affirme ses pensées. Elle finit par transformer les séances d’interrogatoire en autant de plaidoyers pour sa cause, elle mesure l’impact de ses idées sur le policier.
Impact sans effet bien sà »r : Sophie est condamnée à mort lors d’un procès qui évoque les tribunaux de l’Inquisition. Mais le tribunal est aussi une tribune où les inculpés (ils sont trois) profitent de leur court temps de parole pour affirmer en public leurs convictions. Et leurs mots, leur calme, leur résolution font trembler l’assistance davantage que les imprécations du magistrat.
Dans les manifestations de 2006, on a entendu le plus simple des slogans : Résistance. Il disait la détermination de manifestants qui se savent seuls contre un pouvoir qui prétend détenir la vérité parce qu’il détient le quasi monopole de la représentation politique. Il disait la confiance que donne la conviction d’agir dans le bon sens, malgré l’hyper puissance d’un appareil de propagande qui asservit les esprits à la pensée dominante. Il disait qu’un rapport de forces défavorable n’est jamais définitif et que les combats les plus importants sont aussi les plus longs et ceux qui paraissent d’abord désespérés. Pour ces trois raisons, Sophie Scholl nous parle aujourd’hui. Aussi loin que nous soyons du nazisme, la fable de la résistante qui proclame ses idées d’autant plus fièrement qu’on prétend l’humilier compte toujours pour nous. Résistance est un beau mot : on peut parier qu’on l’entendra encore bientôt.
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